Rencontre avec Marc Jacouton, un expert qui allie RSE et stratégie d’entreprise

Bâtiments verts. Sobriété énergétique. Bien-être au travail. Attractivité des entreprises auprès des jeunes talents. Les espaces de travail, réinventés à des degrés divers avec les crises successives, sont à la croisée de toutes ces problématiques.

La RSE – Responsabilité Sociétale des Entreprises – qui les relie, a donc fait son entrée dans l’univers du bureau et des bâtiments intelligents. Movework a rencontré Marc Jacouton, expert et fondateur de RSE DEVELOPPEMENT, pour recueillir son avis éclairé sur les enjeux RSE dans ce domaine et sur les tendances qui se profilent à l’horizon. Interview sans filtre.

MARC JACOUTON

Quel rôle les bâtiments intelligents, en particulier ceux qui abritent les espaces de travail, peuvent-ils jouer en termes de RSE ?

Les nouveaux espaces de travail sont à la croisée des enjeux de durabilité, de gestion de l’efficacité énergétique, et qualité de vie au travail. On comprend tout de suite le rôle majeur des bâtiments dans la décarbonation quand on sait qu’ils sont responsables de 40% de la consommation énergétique et de 36% des émissions des gaz à effet de serre. Un bâtiment contributif va d’abord avoir des objectifs de réduction

des gaz à effet de serre, d’optimisation de la consommation énergétique, jusqu’à devenir un bâtiment à énergie positive. Dans le contexte actuel, la sobriété énergétique s’est imposée, mais l’optimisation doit aussi concerner d’autres ressources comme l’eau par exemple. Pour moi, les trois défis d’aujourd’hui sont de décarboner, déplastifier, décélérer. La RSE navigue entre contraintes et opportunités, avec de nombreuses règlementations. 

Mais on peut aussi avoir une approche pragmatique par les solutions : baisser le chauffage, végétaliser les toits… La question qui se pose aujourd’hui est celle de l’approche intégrative. Il s’agit de prendre en compte le bâtiment de sa construction à sa gestion, tout développant la qualité au sein des nouveaux espaces de travail, qu’il s’agisse de bureaux réinventés, de coworking ou de tiers-lieux.

Pour les entreprises, les enjeux et donc les défis de la RSE sont immenses. Quelle approche stratégique conseillez-vous pour les relever ? Y-a-t-il des freins ?

Deux approches sont possibles. Face à des défis vertigineux, plutôt qu’une approche frontale, on peut adopter une stratégie de petits pas et chercher des quick win. L’important ici est de passer à l’action, de donner une impulsion et de rendre les collaborateurs acteurs face à ces enjeux formidables. 

La seconde approche est plus radicale. Étant donnée l’urgence, n’arrive-t-on pas au bout de la stratégie des petits pas ? Devons-nous faire entrer la conspiration positive dans l’entreprise ? Ou bien faisons-nous semblant sans avoir une réelle volonté de nous transformer, ce qui ressemble bel et bien à du greenwashing, du cynisme et de l’irresponsabilité ? Certaines entreprises sont d’ores et déjà face à des choix radicaux.

 L’indispensable accélération sur la RSE peut par exemple impliquer de ne plus investir dans certains business. Ces entreprises réfléchissent donc aux activités auxquelles elles devront renoncer car elles sont nocives pour la planète et l’économie.

« Aujourd’hui les solutions responsables existent pour la gestion des bâtiments et des environnements de travail.
La limite, c’est le prix et c’est le client. Quand cela nous coûtera trop cher de ne pas être responsable, nous adopterons ces solutions. »

Aujourd’hui, les solutions responsables existent dans le secteur du bâtiment. Le béton bas carbone, les ossatures en bois, les matériaux de seconde main sont disponibles, avec la nécessité de changer d’échelle. Mais elles sont encore trop peu employées. La limite, c’est le prix et c’est le client. Tant que le client n’adhère pas à la notion de « juste » prix, la solution RSE peut être écartée.

 L’histoire va nous rattraper car les ressources vont coûter de plus en plus cher. Les solutions actuelles, trop polluantes, trop taxées ou inacceptées par les clients deviendront hors de prix et sortiront toute seules du marché. Il nous faudra faire autrement. Quand cela nous coûtera trop cher de ne pas être responsables, nous adopterons de nouvelles façons de faire. Cela étant, on peut se demander si l’attente et l’inaction ne sont pas à 

terme plus coûteuses que l’achat de matériaux responsables. Pour ne pas subir demain, nous pouvons agir dès aujourd’hui.

Le prix peut donc indéniablement un frein. Le second frein réside aussi dans le fait que ceux qui font l’effort ne sont pas toujours en responsabilité. Prenons un exemple. Je souhaite végétaliser le toit de bureaux. C’est a priori une bonne initiative. Mais en réalité, les contraintes sont importantes et la mise en œuvre complexe si la végétalisation n’a pas été pensée dès la conception du bâtiment. L’exploitant et l’occupant du bâtiment peuvent proposer des optimisations, mais fondamentalement, pour être efficaces, cette végétalisation doit être intégrée dès le départ, notamment avec une démarche d’éco-conception.

Quelle démarche conseillez-vous pour rendre les espaces de travail plus compatibles avec la RSE ?

Je conseille aux entreprises d’être pragmatiques. Elles peuvent commencer par analyser leurs enjeux RSE, réfléchir à leurs priorités et un plan d’action s’imposera. Il faut en effet choisir ses combats en matière de RSE et investir son argent et son temps sur ce qui a le plus d’impact. Une fois l’analyse et les priorités établies, l’entreprise peut définir une feuille de route.

L’essentiel dans ce type de démarche est de mettre en action les équipes. Engager une démarche RSE implique une gouvernance forte, une volonté réelle de s’engager, et une traduction en objectifs pluriannuels. Les entreprises doivent avoir conscience de s’engager dans une démarche long terme. Elles peuvent vivre au cours du déploiement de leur stratégie RSE des déplacements d’externalités. Elles choisissent un angle important pour elles, par exemple l’eau, mais auront aussi un impact sur d’autres points, par exemple la biodiversité. L’entreprise fait un choix mais doit avoir conscience que le problème est systémique.

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Sans aller jusqu’à parler du futur de la RSE dans le secteur du Facility Management, quelles sont pour vous les tendances émergentes ?

J’imagine une plus grande convergence entre la construction du bâtiment et son exploitation, avec une intégration de la chaîne de valeur. Aujourd’hui, on achète un bâtiment, puis, au regard du prix, on enlève une à une les options RSE. Alors que s’il y a un continuum entre construction et exploitation, l’évolution sera plus facile et ces options… ne seront plus des options. La gestion des services telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui arrive à une limite. Les prestataires de service, au-delà des interventions ponctuelles, iront vers plus de pilotage et de gestion de l’infrastructure, avec, sans doute, une plus grande cohérence en termes de RSE.

Je crois aussi que l’humain occupe une place centrale que nous devons repenser. L’enjeu est vraiment « people ». Le collaborateur est aussi un citoyen et un consommateur. Qu’est-il prêt à accepter ? Que souhaite-t-il ? L’impact du collaborateur-citoyen-consommateur est loin d’être négligeable.

« L’enjeu est vraiment « people ». Le collaborateur est aussi un citoyen et un consommateur. Qu’est-il prêt à accepter ? Que souhaite-t-il ? »

 La QVT est ainsi devenue un prérequis pour recruter dans des métiers sous tension. D’une certaine manière les talents ont fait progresser le volant sociétal. Dans ce domaine, les mœurs évoluent favorablement. Il y a des années, le personnel d’entretien était purement et simplement invisible car travaillant en horaires décalés. Aujourd’hui ces équipes travaillent sur les horaires de bureau sans que cela ne choque personne. L’impact sociétal est bien évidemment très positif. Il est complété par un impact environnemental fort, dans la mesure où il permet de diminuer la consommation énergétique des bâtiments qui ne sont plus autant chauffés ou éclairés H24.

Enfin, l’évolution majeure est celle qui va nous faire passer de la responsabilité à la contribution puis à la régénération, avec des modèles d’entreprises régénératives. Passer au stade de la contribution suppose de s’interroger sur son impact, de le mesurer et de le communiquer en toute transparence. Nous allons de plus en plus vers des reporting qui intègrent des indicateurs de mesure d’impact dans une logique de comptabilité extra-financière. Le nombre d’emplois indirects créés via des achats chez les fournisseurs est par exemple un indicateur qui figure rarement dans un reporting volontaire. 

En revanche, quand on est dans une logique contributive, il est intéressant de s’y attacher. Les bâtiments intelligents, possédant des capteurs IoT pour l’air, la température, l’eau etc. peuvent jouer un rôle important dans la collecte des data, la création, l’analyse et le suivi de ces indicateurs non financiers.

Pour conclure cet entretien, pouvez-vous partager avec nous un dernier conseil ?

Mon conseil est d’entamer une démarche pour passer du bâtiment responsable au bâtiment contributif puis régénératif. L’exemple du bâtiment à énergie positive est aujourd’hui une réalité qui deviendra demain la norme. Il y a urgence à décarboner, déplastifier, décélérer.

Marc Jacouton s’est intéressé à la RSE dès 2007, un peu par hasard. Travaillant dans l’industrie textile, il découvre l’envers du décor lors d’un voyage au Bengladesh. Ce voyage déclenche une vraie prise de conscience, à une époque où il était encore peu question de RSE. Dans un métier qui est en train de s’inventer, il se concentre sur la RSE comme axe de création de valeur et de compétitivité pour les entreprises, notamment les PME-ETI. 

Son objectif est alors de démontrer que la RSE, intimement liée à l’innovation, à la différenciation ou la réduction des coûts, doit s’intégrer dans une stratégie d’entreprise. En 2010, Marc Jacouton fonde le cabinet RSE DEVELOPPEMENT pour 

accompagner les entreprises pionnières qui ont la volonté de développer une stratégie environnementale et sociétale, mais n’ont pas nécessairement le temps ni les expertises en interne. Il aide ses clients à intégrer la RSE dans leur stratégie sur le long terme et à mettre en œuvre leurs projets à impact positif.

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